mercredi 30 novembre 2011

Axoum, Kaleb, Ezana, suite et fin

Ce que l'encyclopédie Universalis ne dit pas de l'Ethiopie, n'en déplaise à mon auguste mère qui suit mon périple par encyclopédie interposée, c'est j'ai pris mon petit déjeuner ce matin. Eh bien a peu de choses près dans le jardin d'Eden. 
Déjà deux jours à Axoum, et décidément je ne voyais toujours ce que cette ville avait d'ennuyeux. Je n'avais pas découvert le parc Ezana qui m'échappait toujours, mais j'en découvris un autre, privé celui-là, le jardin de l'hôtel Kaleb, où j'avais atterri après avoir claqué la porte au nez des margoulins de l'Africa hotel, que je ne recommanderais à personne, même si sa proximité de la gare routière en fait nécessairement une adresse fréquentée - à tort, car en tuktuk tout est possible.


Ermias, propriétaire de l'hôtel Kaleb, est l'un des professionnels de l'hôtellerie de longue date rencontré sur ma route. Cet hôtel existe depuis une trentaine d'année et appartenait à son père. Il l'a récemment agrandi et rénové, et les chambres sont accessibles à tous les budgets. En ville, Ermias est connu comme le loup blanc, on le salue ou on l'évite, mais il est une sorte de célébrité locale, en plus d'être un hôtelier accueillant: il n'est en effet pas très courant qu'on laisse aux clients les clés du bureau pour que vous alliez vous connecter à internet sur l'ordinateur du patron entre la caisse -pleine- et les registres de l'hôtel.


En octobre, l'Ethiopie est à peu près partout vert pomme. Notre printemps n'est rien au regard de ce qui s'y passe juste après la saison des pluies - du moins dans le centre et le nord du pays. "Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté", à ceci près que les chiens courent après les chiennes, les pinsons volettent après les pinsonnes et les fleurs sont belles comme des camions afghans. Des oiseaux étranges au plumage bleu métallisé mâtiné de reflets verts picorent les goyaves qui poussent en telle quantité qu'hommes et oiseaux peuvent se partager la ressource sans conflit. 



Cela dit, il faut aimer la goyave, ce fruit fadasse au goût de pas grand chose que l'on vous sert partout là-bas et surtout en jus infâme à la consistance si solide qu'on vous donne une paille ET une petite cuiller pour en venir à bout. 



Dans ce jardin, il y a une sorte de paillote, offrant une ombre bienvenue car j'ai les oreilles qui rougeoient comme des lumignons depuis deux semaines. Et si je n'ai guère eu l'occasion d'apercevoir plus d'une demi oreille d'hippopotame sur le lac Tana, je suis assaillie par des oiseaux incroyables partout, du type de ce volatile indéterminé apparenté au moineau, version bariolée :


Dans l'arbre au fond du jardin, c'est le coin des perruches sauvages et autres oiseaux inconnus a crête avec une très longue queue, semblables à des cacatoès beiges, trop rapides pour l'objectif de ma caméra.
Et tout ce beau monde s’égayait devant moi pendant que je mangeait du pain au miel en sirotant un café, en poussant des exclamations a chaque fois qu'un nouveau volatile venait faire du rase-mottes au-dessus de mon assiette...

Aucun bruit urbain de vient polluer l'atmosphère sonore, seulement troublée par quelques gazouillis intempestifs, le tintement de la petite cuiller sur le bord de la tasse et le crissement des chaises de bambou.
Eva avait raison, Axoum est un lieu privilégié pour laisser passer le temps. Stèles, obélisques et palais visités, si l'ennui gagne très vite les touristes, c'est qu'ils n'ont pas encore saisi que c'est dans un jardin que l'on attend que le temps passe à Axoum.

Je me suis donc remise en quête de mon fameux jardin public, dont il m'avait semblé trouver l'entrée la veille en bordure de la rue principale, mais lorsque je m'y rendis, si je découvris un autre jardin extraordinaire, ce fut celui d'un ancien palais royal d'Hailé Sélassié, qu'il donna à l'Etat pour en faire une bibliothèque universitaire.


Il existe une petite université à Axoum, construite essentiellement grâce à des fonds de la GIZ, l'agence de coopération allemande. J'ai jeté un œil aux ouvrages à la disposition des étudiants sciences humaines dans cette BU . Leur fond est composé des ouvrages des bibliothèques occidentales mis au pilon, car obsolètes. Les ouvrages en anglais, largement majoritaires, datent, pour les plus récents, des années 1980 et sont des essais de littérature "grise" traitant de la situation américaine, de la guerre froide, de l'analyse poussée de la politique économique de JFK et Jimmy Carter, etc.

Finalement, c'est par hasard que je découvris le parc Ezana, aussi introuvable qu'évident, au beau milieu de la place centrale d'Axoum.


Sur quelques dizaines de mètres carrés, le parc Ezana s'étend - s'étendre est un bien grand mot pour ce square compact- en triangle entre les deux axes principaux d'Axoum. Son format ne l'empêche pas d'abriter au moins deux cafés et quelques vestiges de la période sabéenne disséminés çà et là au gré des deux allées. 


Fleurant bon l'anarchie jardinière, les haies poussent comme elles l'entendent, tenues simplement par des morceaux de bois, mais le résultat n'a rien à envier aux espaces verts rationnels et régentés de nos villes.

Et de fait, le café y était excellent.

samedi 26 novembre 2011

Axoum, Saba, l'archéologie...

Je ne mettais toujours pas le pied sur le parc Ezana d'Eva, mais par contre, au fil de mes explorations, j'ai vite largué tout guide touristique officiel ou non pour arpenter la zone au grand étonnement des habitants, peu habitués à voir des Farangis, seuls, marchant - à pied, oui madame, à pied, c'est fou!- un bon kilomètre hors de la ville pour accéder au prétendu palais de la reine de Saba -dont l'authenticité est peut-être douteuse, mais qu'importe, rêvons un peu...

Ce fameux "palais" n'aurait été découvert et préservé il n'y a que quelques années par des archéologues allemands...

Comme si un blanc normalement constitué n'était pas capable de demander globalement son chemin en simili-Amharique après plus de 10 jours dans ce pays, à grands renforts de bras et de mains.
 
En face du palais, un champ de tef, céréale locale servant à préparer notamment les fameuses galettes injera, est ponctué de stèles funéraires encore en attente -ou pas - d'être explorées. Malgré le développement -encore balbutiant- de l'industrie touristique, cette zone recèle encore de nombreux mystères et l'avancée des recherches semble assez laborieuse d'un point de vue administratif, économique et politique.
Sans me faire plus ethnocentrique que les Ethiopiens eux-mêmes, ces stèles ressemblent furieusement à des menhirs. Si Uderzo a encore envie de faire un 32ème album des aventures d'Astérix et Obélix, je lui suggère vivement Obélix chez la reine de Saba...


Les recherches archéologiques sont encore peu développées, ou ont été interrompues, faute d'autorisations, faute de financements, à tel point que des découvertes importantes sont encore faites de nos jours, comme cette sorte de pierre de rosette locale, rédigée en grec, guèze et araméen, racontant la victoire du roi Ezana lors d'une campagne militaire d'expansion du royaume. Elle fut découverte il y a quelques années par un paysan ayant quelques difficultés à labourer son champ avec une charrue entravée par la petite tonne de pierre située juste en-dessous.




Le parcours de Tilahun, notre guide du premier jour, avant que je ne prenne le large, nous a amenés peu à peu sur les traces de la Reine de Saba -je laisserai aux historiens le soin de valider ou non ces propositions- à Axoum, notamment une piscine, sorte de grande mare artificielle, reconstruite par Haïlé Sélassié, mais qui conserve encore quelques traces prétendues du passage mythique de la reine, notamment les marches qu'elle aurait empruntées pour sa royale descente dans l'eau.

Mais ce n'est ni sa piscine, ni les ruines de son palais qui font de la reine de Saba l'une des figures les plus glamour de l'histoire humaine, c'est, bien sûr, son histoire avec le roi Salomon, qui a inspiré le navet intergalactique de King Vidor en 1959 avec la très -trop- pâlote Gina Lollobrigida... et surtout les conséquences légendaires sur l'Arche d'Alliance, dont l'histoire mythifiée par les Ethiopiens est plus haletante que le meilleur roman policier contemporain... A suivre dans un prochain épisode, en couleur et en détail, la véritable histoire de la Reine de Saba et du Roi Salomon, version axoumite.

vendredi 25 novembre 2011

Axoum, parc Ezana...

J'ai débarqué à Aksoum un peu par hasard : rien prévu, rien organisé, rien lu, je me suis laissée porter au gré des liaisons intérieures d'Ethiopian Airlines depuis Lalibela.


On m'avait dit beaucoup de choses d'Axoum, notamment qu'il n'y avait pas grand chose à y voir ou à y faire et que ce détour par l'extrême nord de l'Ethiopie n'en valait pas vraiment la peine. la peine? Quelle peine? Une heure d'avion? Quel type exact de peine peut-il y avoir à se laisser porter au gré de ses envies dans un pays aussi étranger qu'hospitalier?
Axoum... Avec un nom pareil, qu'il n'y ait rien à y voir me paraissait hautement improbable... Et ce "rien à voir" me semblait déjà parfaitement impropre pour qualifier un quelconque endroit de l'Ethiopie, pour peu qu'il ne soit pas désertique.


C'est finalement Eva, une prof de géographie allemande croisée à Bahar Dar, où elle récoltait frénétiquement des papyrus sur les bords du Lac Tana pour les montrer à ses élèves, qui a su me donner l'argument de choc: "C'est vrai, il n'y a pas grand chose à faire là-bas, mais au centre de la ville, il y a un petit jardin public, minuscule, en forme de triangle, où sont dressés quelques vestiges, des colonnes, des morceaux de stèles, c'est calme et très joli, et il y a un petit café où tu pourras te reposer et lire pendant des heures. Si tu n'es pas pressée, c'est idéal. Et le café est très bon."

Ce dernier argument fut décisif. Dès mon arrivée je me suis mise à la recherche de ce fameux jardin, mais bien évidemment, avant de tomber sur le parc, je suis d'abord tombée sur un obélisque de 40 tonnes écrasé en travers de mon chemin.


Parce qu'il s'est avéré qu'avant d'être une ville "où il ne se passe pas grand chose", Aksoum a été le berceau d'une civilisation et d'un royaume étendu et prospère du 1er au 9ème siècle ap. J.C., premier royaume d'Afrique à battre monnaie, aux relations commerciales intenses avec l'Egypte, l'Arabie, la Grèce, la Syrie, et dont les souverains bâtisseurs de palais avaient le chic de se faire enterrer sous des stèles ouvragées de 35m de haut - pour la plus haute.


Ces obélisques géants, parmi les plus grands ouvrages monolithes au monde, sont le fruit de la civilisation Sabéenne, peuple sémitique venu du Yémen vers 1000 av. J.C., qui adorait le soleil, la lune et Vénus, et avait un sens très marqué de l'architecture et du grandiose.


Les tombeaux de leurs rois recèlent encore des mystères techniques que les guides tendent à amplifier - je n'ai d'ailleurs parfois pas vraiment compris où résidait l'insolite, preuve que ma culture technique est décidément bien rudimentaire, où que le guide nous embobinait largement. Malgré tout, Aksoum fut certainement le siège de techniques assez avancées, quoiqu'apparemment assez similaires à celles de l'Egypte ancienne et certainement héritées d'elles (ce que les guides locaux démentiront, comment peut-on oser les comparer aux Egyptiens?)


L'un des rois les plus emblématiques du royaume d'Aksoum, Ezana, reçut, au IVème siècle -je ne vous ferai pas l'affront de vous dire si c'est avant ou après J.C.- comme précepteur un missionnaire chrétien venu de Tyr qui finit par le convertir, faisant de son royaume le berceau d'un christianisme très singulier, aujourd'hui rattaché à l'orthodoxie bien qu'elle soit une église autocéphale, ne dépendant ni des patriarches de Constantinople ni de ceux de Moscou. Pour ceux que ça amuse ou qui auront un enfant chrétien à nommer dans les prochains mois, le moine syrien qui obtint l'oreille du roi Ezana s'appelait Frumence...


En 1937, alors que les Italiens occupaient le pays depuis deux ans, l'un des deux plus grands obélisques derrière moi sur la photo a été subtilisé à Aksoum pour venir orner le ministère de l'Afrique italienne, car on ne crache pas sur un trophée de chasse de cette ampleur lorsqu'on s'appelle Mussolini. Les Italiens, boutés dehors en 1940 par Hailé Sélassié (aidé par les Anglais, pas rancuniers), se sont engagés à restituer la stèle aux Ethiopiens en 1947, mais ayant un sens de la temporalité un peu particulier, l'obélisque n'a repris sa place initiale qu'en août 2008.


De stèle en tombeaux, j'ai arpenté la ville en tuktuk, cet espèce de tricycle à moteur de mobylette qui sert de moyen de transport en ville et vous amène à peu près à destination, avec l'aide de Dieu -les autocollants bariolés de Jésus à l'intérieur sont probablement autant là pour rassurer que pour des raisons esthétiques de toutes façons assez douteuses, car dans un tuktuk il n'y a qu'à prier en s'accrochant.



Parfois, les chauffeurs de tuktuk vous embarquent, trop heureux de faire une course au tarif Farangis, en omettant de vous préciser qu'ils ne peuvent pas vous conduire à destination parce que la route est trop impraticable pour leur espèce de tricycle à moteur : de grands moments de joie collective en perspective...




Demain, le suite de la recherche du parc Ezana, et la grande piscine privée de la reine de Saba...


mardi 22 novembre 2011

Les porteuses

Petits petons...

Ici, ce sont très généralement les femmes qui portent. Elles portent leurs enfants, elles portent les courses. Parfois les deux en même temps, dans un bel exercice d'équilibriste...


Les femmes portent leurs enfants, puis, lorsque la famille devient trop nombreuse, ce sont les frères et soeurs qui ont la charge des nouveaux venus, placés sous leur responsabilité -même à quatre ans, ce qui donne lieu à des photos particulièrement attendrissantes, à des "hooooo" et des "haaaaa" touristiques ravis et satisfaits de cette belle image de la famille nombreuse et solidaire.

Photo de Torsten Lenk
Mais surtout, surtout, les femmes, les filles, dès le plus jeune âge, portent l'eau, dans des bidons en plastique, presque toujours d'un jaune canard, qu'elles attachent à leurs épaules avec de la ficelle. Ici aussi on est dans La source des femmes, version éthiopienne, Radu Mihaileanu en moins.

Un bidon gris, c'est rare
En courant... Facile, ça descend...
Ce rôle leur est quasiment invariablement imparti, au titre des tâches domestiques dont la gent féminine est la dépositaire dans les zones de culture rurale, à tel point que certaines marques d'eau en bouteille ou certaines affiches publicitaires relaient l'image d'Epinal d'une femme, parfois d'une fillette, heureuse de se scier les épaules une à deux fois par jour avec des bidons de 10 litres et plus.

Cette image contraste curieusement avec l'image - irénique elle aussi, car les travaux des champs ne sont pas exactement de tout repos pour ces messieurs - de l'Ethiopien, homme fier et libre, sans entrave, soutenant ses bras à l'aide de son bâton qu'il porte en travers des épaules.


Lorsqu'elles ne portent pas l'eau, elles peuvent porter jusqu'à 60 Kg d'eucalyptus sur plusieurs kilomètres, plus de 10 parfois, repoussant alors la limite de l'imaginable à moins d'être championne d'haltérophilie. Et les haltérophiles, elles, portent des chaussures.

De la colline de Entoto, vers Addis

Mais elles portent également le produit de la récolte des champs vers la maison et de la maison au marché, car ce sont elles qui vont vendre et acheter au marché.


 Et puis elles portent également le bois de chauffage. C'est très diversifié.


Vous l'aurez saisi, il est assez rare de croiser sur le bord des routes éthiopiennes des femmes, bras ballants, le nez au vent, faisant prendre l'air à leurs dents, comme Miss Harriet sur les falaises d'Etretat.





Explusions, propreté et droit foncier

Sur le site de Lalibela, lorsque l'on descend du groupe ouest vers l’Église Saint-Georges, on passe par un chemin bordé d'une dizaine de maisons traditionnelles abandonnées.


Une maison abandonnée en Éthiopie, cela ne va pas exactement de soi, et une dizaine encore moins. Le guide ne semblait ne vouloir attirer notre attention que sur les détails de l'habitat traditionnel éthiopien, et fut passablement surpris de la question : "Mais, au juste, l'architecture traditionnelle c'est bien joli, mais où sont les habitants?"

Sa réponse se résuma grosso modo a l'embrouillamini suivant :

"Oui, il y avait des habitants, mais ils sont partis, l'année dernière l'UNESCO a exigé que les gens partent parce que ça ne faisait pas propre (sic!) sur le site touristique, c'est un site classé, pour les touristes ce n'est pas bien si les gens sont là partout, c'est un site touristique donc ça doit être propre et les gens sont partis, c'est l'UNESCO qui a décidé ça".

"Ils sont partis... ils ont été expulsés, c'est ça?"

"Euh oui, mais ils étaient d'accord, hein? Et les gens du village plus haut vont partir aussi, mais c'est négocié avec l'UNESCO, ils sont d'accord".

"hmmmmm... L'UNESCO décide de l'expulsion d'habitants et citoyens éthiopiens, maintenant? c'est dans leur mandat, bien évidemment, cette explication me paraît très claire... Et les habitants sont d'accord, fort bien, mais à combien s'est monté l'achat de leur docilité de bons citoyens?"



Juste au-dessus du groupe est des églises, on trouve encore un nombre considérable de maisons traditionnelles, habitées, ainsi que de petites cellules troglodytes où résident des nonnes qui passent leur vie à prier dans 5 m² d'obscurité rayonnant de lumière divine.




Toutes ces familles semblent également devoir être prochainement expulsées, à l'exception des nonnes.  Le business du tourisme local n'ayant pas préparé ses troupes à développer des réponses toutes faites aux si rares questions sortant du cadre bien propret du "C'est vrai que ce sont les anges qui ont aidé à creuser les églises?" ou "Je peux faire une photo du prêtre en train de lire une Bible, c'est tellement typique!", mon insistance auprès du guide n'a fini par rencontrer qu'un silence ennuyé.

De retour hors de l'enclos sacré, j'ai été, comme d'habitude, assaillie par de très jeunes hommes adorant, au choix, la couleur de ma peau, mon argent, mon visa ou mon appareil photo. L'un d'entre eux, Samuel, un très joli garçon d'à peine 18 ans, s'est avéré un peu plus insistant et m'a collé aux basques durant si longtemps que, dans le souci de ne pas lui faire complètement perdre son temps (et le mien) je lui ai confié une mission : celle d'être mon indic sur ce dossier des expulsions de Lalibela.

Après l'avoir soudoyé avec un Pepsi, il est parti à la recherche d'informations stratégiques auprès des habitants du quartier à expulser.

Dans le même temps, j'ai posé la question à d'autres gens de Lalibela, restaurateurs, gérants d'hôtels, qui ont confirmé la thèse première de l'expulsion pour cause de propreté touristique de site classé (depuis 1978, tout de même, et il a fallu 34 ans pour que quelqu'un se dise subitement : "Tiens, mais au fait, les gens c'est sale, on va les mettre plus loin, ça fera plus héritage mondial"), mais cette fois en insistant sur le fait que la ville de Lalibela en aurait décidé ainsi et que l'UNESCO n'aurait comme rôle que celui de dédommager les familles expulsées, en leur offrant une maison neuve à l'écart du centre ville, et en leur fournissant en outre de la nourriture, et non de l'argent, en compensation de l'expulsion parfois à plus d'un kilomètre de leur lieu historique de résidence.

Nouvelles huttes construites à l'écart de la ville

Samuel m'écrivit dans les jours suivants le mail ci-dessous, qu'une lecture attentive m'a permis de décrypter après plusieurs passages (bon courage, c'est coton) :

" As you told me about the town of lalibela especially which is living the people  around the compound of the church at this time  no one is living around the church  except monk and spiritual person because of  only allowed to live around the church monk and spiritual person in addition also if the people live clothe to the church it is not good for the rock of the church like, heavy things,  building house, air pollution, and  it is forbidden to do unnecessary things clothe to round the church so by this incase the people must leave the place of round the church and now they are living from new house new land far a way from the church. This all are showing afraid of our lord(je souligne)
Tourism is supporting and building new house to the people were living round the churches. I asked and every one told me the same thing."

Perplexité....
Les habitants de ces quartiers, vivant là depuis des générations et des générations seraient soudain, par l'opération du Saint-Esprit, devenus une présence profane intolérable pour les bigots consacrés sur le territoire des églises de Lalibela, et l'UNESCO aurait disparu du paysage, puisque ce serait le ministère du tourisme qui dédommagerait les familles en leur construisant des maisons neuves?

Toujours est-il que je tenais là une hypothèse possible quant à la docilité des habitants, résignés à l'idée de quitter leur maison familiale : on leur aurait donc fait le coup de la colère divine, on leur aurait fait craindre, par l'intermédiaire des prêtres, l'insatisfaction d'un Dieu irrité par la présence de ces mécréants sur sa belle terre bien joliment sacrée, alors qu'eux-mêmes sont des orthodoxes tout ce qu'il y a de plus orthodoxes, mais qu'importe, Dieu ce grand ordonnateur vous veut un peu plus loin, il vous préfère au bout du village, et si vous ne dégagez pas le plancher ce sera la fin du monde et l'Armaggedon programmé, vous irez tous brûler en enfer, cela dit, Dieu a également dit au ministère du Tourisme de vous construire une nouvelle maison alors cessez de gémir et priez mes frères, ça empêche de penser.

Mais pourquoi ce revirement soudain, ce subit accès de sacralité sur le site des églises où personnel divin et pauvres normaux se sont côtoyés sans heurts depuis des siècles?

Quel rapport avec la présence des touristes, dont on prétend qu'ils seraient importunés par la présence des habitants? et avec l'UNESCO, que on fait tour à tour instigateur de ces expulsions ou financeur général des négociations? Et quelles négociations, si de toutes façons l'arbitre général est Dieu, avec lequel il est de notoriété publique que l'on ne négocie pas?

Je m'enfonçais de plus en plus dans une obscurité totale, Samuel m'embrouillait de plus en plus avec des explications dans un anglais hiéroglyphique et tout se mélangeait, UNESCO, municipalité, vieux, jeunes, prêtres, dieux, églises, maisons en paille, nourriture, argent, ministère du tourisme, Saint-Georges, Joseph et Marie sur leur âne en fuite vers l'Egypte. 
Trois choses étaient certaines : ces gens allaient être expulsés, ils ne protestaient pas et de nouvelles maisons leur étaient construites à l'écart de la ville.
Remarque en passant : la culture de la protestation ne s'exprimant pas exactement de la même façon dans notre belle contrée syndicale et du côté des hauts plateaux d'Abyssinie, et les contextes économiques et sociaux n'étant à l'évidence en rien comparables, je reste assez réservée sur l'explication à donner à la docilité apparente des habitants relégués aux marges de la ville.

De mon côté, j'envisageai plusieurs pistes : la préservation d'un site culturel comme celui de Lalibela se justifie, le décalage temporel entre le classement du site en 1978 et les expulsions des habitants en 2010 ou 2011 m'interroge.

L'interdiction de construire de nouvelles maisons sur un site classé pour le préserver s'envisage, mais l'expulsion me paraît plus complexe à justifier.

L'hypothèse qui paraît la plus plausible, et que, sans préjuger de son occurrence ou non, nous pourrons vérifier dans les années à venir, est la suivante, et m'a été soufflée par un membre de l'un des partis d'opposition au gouvernement dont je tairai le nom, car ce genre de publicité peut s'avérer plus néfaste en Ethiopie que par chez nous:
En Ethiopie, conséquence d'une longue histoire de la propriété foncière, et sans rentrer dans les détails du droit foncier pour le moment, l'Etat détient la quasi-totalité des terres, du sol, il est le seul véritable propriétaire foncier. Les individus possèdent les maisons et constructions érigées sur ces terres ainsi que les produits de ces terres, mais ne possèdent pas la terre elle-même.
S'ils n'en sont pas propriétaires, il n'ont pas de droits sur elle. Pas de droits, pas de chocolat, rengaine bien connue des penseurs libéraux, il ne s'agirait donc pas d'expropriation, puisque la terre n'appartient pas aux habitants et qu'on leur fournit une nouvelle maison dont ils seront propriétaires. Opération blanche.

Les terrains ainsi "vidés" en plein cœur de l'un des sites les plus visités d'Ethiopie, en plein contexte d'expansion de l'industrie touristique, en laisserait plus d'un rêveur...

Sous couvert de préservation d'un site classé, l'expulsion des habitants résidant à proximité immédiate ou sur le site lui-même laisse des espaces considérables inexploités sur le passage des touristes d'un groupe d'églises à un autre. Il y a fort à parier que d'ici quelques années nous verrons fleurir, là où passaient veaux, vaches, cochons (euh, non, pas eux), couvées, des boutiques et autres étals de bibelots inutiles qui permettront aux touristes de ne pas disposer d'un seul moment de paix et de silence sur le chemin des églises.









mardi 8 novembre 2011

Ce qu'on y mange, ce qu'on y boit, ce qu'on y mache, ce qu'on y fume


Meme Google trads n'aurait pas pu le faire...
Et voila la meilleure partie de l'histoire : Il s'avere qu'on mange en Ethiopie de tres bons burgers (parfois) et d'excellents sandwiches a etages multiples. En effet, au meme titre que les Ethiopiens considerent le building comme un sommet de modernite et de civilisation, ils ne rechignent pas devant l'edification de gratte-ciels culinaires dont ceci n'est qu'un bien maigre exemple.

Voici le fameux burger "boeuf-jambon-fromage" du Sisi burger de Mekelle
Mais n'exagerons rien, le must du must reste encore l'injera, cette grande galette de ble ou de tef legerement acide qui sert a "saucer" de petits tas de nourriture au centre, d'une variete telle qu'il est ici quasiment impossible de souffrir de carences alimentaires : viandes, lentilles de toutes les couleurs, haricots, pois, epinards, oeuf, fromage, et j'en passe... Tout ceci est delicieusement marine, prepare, epice, presente, et il faut alors rivaliser d'adresse pour decouper, a l'aide de sa seule main droite, un morceau d'injera pour ensuite aller, toujours avec une seule main, picorer dans tous les petits tas de sauces et remplir son morceau de galette.
Les mercredi et vendredi, on jeune, on ne mange ni viande, ni d'oeufs, et l'injera est completement vegetarienne, ce qui fait de l'Ethiopie un repaire de vegetariens, puisque certains fervents religieux vont jusqu'a jeuner 250 jours par an.
La nourriture des jours de jeune s'appelle "fasting food", ce qui n'a decidement rien a voir du tout avec notre MacDo et autres Quick. C'est aussi riche et bien prepare que les autres jours, et lentilles et autres pois divers et varies compensent largement l'absence de viande ou d'oeufs.

Fasting-food du genial Yod Restaurant d'Addis - mieux vaut reserver a l'avance...
Colonises durant 5 ans seulement par les fascistes italiens, les Ethiopiens ont eu le bon gout de n'en garder que le meilleur ; c'est ainsi qu'on peut manger en Ethiopie les pates les mieux cuisinees du monde apres l'Italie, c'est-a-dire le genre de pates qu'on pourrait presque envisager de deguster sans sauce ou  accompagnement tant elles sont divinement cuites et salees a point.


Parfois, certains restaurants ne proposent que deux ou trois plats, le plus courant et souvent le moins cher, c'est le "Tibbs", une injera accompagnee de viande grillee, parfois saupoudree de piment (attention ici les lamelles vertes, c'est rarement du poivron). Souvent la viande n'est pas de la meilleure qualite et manger du tibbs une fois par jour ca finit serieusement par vous porter sur le systeme, sinon sur l'estomac. Cela dit, lorsque le personnel ne pique pas un mot d'anglais, le "tibbs" est souvent le seul mot sur lequel touristes et ethiopiens parviennent a s'entendre...

Parfois on vous propose, pour le plaisir des yeux, un origami d'injera, a quand un grand concours de pliage de galettes bretonnes...

Un grand classique egalement, le "shiro", une bouillie chaude de pois, pois chiches ou haricots secs rotis, epluches puis moulus, prpares dans une sauce au gingembre et autres epices secretes, que l'on verse sur une injera ou que l'on mange avec du pain (pour ceux que l'injera commencerait a fatiguer). C'est pas leger-leger mais c'est tout de meme excellent.


Dans la rubrique "J'aime l'Ethiopie", il y a surtout le cafe. N'essayez pas de leur faire entendre que ce serait une autre reminiscence de l'invasion italienne, attention : Le cafe c'est ethiopien, ils l'ont pense, voulu, invente, torrefie, moulu, prepare avant tout le monde, puis ont eu la generosite de partager avec les autres. Mais que cette question de paternite ou de maternite du cafe soit bien claire, c'est ici que ca a commence...


Le cafe, c'est donc toute une histoire, et meme toute une ceremonie, ou les femmes officient, assises sur de petits tabourets, versant le cafe d'un geste assez elegant dans des petites tasses sans anse. On brule de l'encens et on utilise une sorte de pot en terre pour chauffer le cafe sur un recipient rempli de braises. On sert du pop corn, qui se marie etonnamment bien avec le cafe, si celui-ci est sucre en particulier.


Preuve ultime, s'il en etait besoin, d'un sens aigu des bonnes choses, les Ethiopiens boivent leur cafe tres sucre, et aiment passer du temps a glandouiller en terrasse en sirotantde l'eau gazeuse, des bieres et des cappuccino ou macchiato qui sont vraiment une reussite locale surprenante.


Dans le champ des liquides, outre que les bieres ethiopiennes soutiennent largement la comparaison avec les bieres francaises (plus difficilement avec les allemandes et les belges, mais ne chipotons pas), et que leur vin est une immondice sans nom qui vous donne l'impression qu'un mome de 4 ans s'est amuse a melanger du jus de raisin, de l'eau, du sucre, de l'alcool et beaucoup de sulfites pour rigoler et vous rendre malade des le deuxieme verre, les jus de fruits ont la cote, et j'aime bien le "mix" : goyave, avocat et papaye, ce sont des jus qui se mangent plutot qu'ils ne se boivent et on vous donne souvent une cuiller pour venir a bout de l'etage de l'avocat parce que sinon tout reste coince dans la paille et on s'etouffe.



Dans la rubrique "chique", il y a le "khat", prononcer "tchat", comme sur msn. Cette drogue dite douce est l'un des premiers produits d'exportation de l'Ethiopie, bien que cette drogue soit illegale. Le "khat" est omnipresent dans l'est, et au sein la population estudiantine de tout le pays. Ce sont les feuilles d'un arbuste, ameres, que l'on chique, parfois quotidiennement, l'apres-midi, en mangeant ds cacahuetes qui attenuent l'amertume des feuilles. Je n'ai meme pas touche du bout des levres le quart d'une seule feuille tant cette amertume est repulsive.

Dans l'est, on chique partout, tout les jours, parfois toute la journee, dans la rue ou dans des bars specialises, salles confortables equipees de matelas ou l'on fume ds chichas, des cigarettes et ou l'on chique.
Une salle a khat a Mekelle
Le khat est repute avoir des effets vertueux sur la concentration, raison pour laquelle il connait un grand succes aupres de la population estudiantine, en particulier en periode d'examens. Personnellement, j'ai surtout constate que certaines personnes commencaient a raconter n'importe quoi sans vous ecouter au bout d'une heure ou deux. Il parait que le khat annihile la sensation du monde exterieur, reduit la perception des sens (ouie, etc.) et permet donc de mieux se concentrer. 
Dans les faits, j'ai surtout ete confrontee a des gens completement ravages dans la rue, khattant toute la journee, ou du moins des 14h environ, car l'apres-midi est consacree au khat, du moins dans l'est, a Harar en particulier.
Indirectement, le khat est aussi une catastrophe par ses effets secondaires : augmentation de la consommation de tabac et d'alcool, necessaire pour annihiler les effets du khat et pouvoir dormir.
Au vu des dents des consommateurs reguliers de khat, je dirais en outre que c'est pas super pour les gencives et l'email. Et enfin, apres de longues heures de machouille et rumination avec sa boule de khat coincee dans la joue, les yeux brillants, injectes de sang et les depots verdatres sur les dents et les levres donnent carrement l'impression de se promener dans "la nuit des morts-vivants".
Terminons par deux bonnes surpises: La "flavoured Ambo", eau gazeuse aromatisee au citron, orange, pomme ou ananas, aromes tous plus chimiques les uns que les autres, qui a un vague gout de limonade, et dont j'ai fait ma boisson fetiche par ici. J'ai meme participe a un jeu-concours pour gagner un an de "flavoured ambo" gratuite afin d'en entamer la commercialisation en France... Sucre, chimique, frais, j'adore.

Ambo pomme, tu vas me manquer...
Et enfin, mes compagnes de voyage, les fameuses Nyala, clopes locales a 10 birrs (45 centimes d'euro) qui se sont averees a ma grande surprise parfaitement fumables tout au long de mon sejour.
Le seul probleme, ce sont ces paquets mous qui se renversent dans votre sac, et je me suis regulierement battue avec des monceaux de cigarettes cassees deversant leur tabac au fond de mon sac.

 
 Qu'importe, les Nyala, quand on a la technique du paquet mou, c'est une option tout a fait possible...